Déflagration universelle des Droits de la Terre

Préambule


Considérant que nous ne sommes pas partis pour nous taire, et que la présente déflagration se propose de miner les sutures morales d’une présumée communauté indivisible dont les individus, supposés interdépendants, sont dévotement bâtés dans une destinée commune ;

Récusant l’ignominie idéaliste qui prétend puiser dans la frugalité de la ‘‘(bonne) vie naturelle’’ l’accomplissement du bonheur, et qui, dans son incapacité à intégrer la résolution des pires précarités, ne peut que les tolérer ;

Affirmant que nul fardeau ne saurait peser sur les volontés de puissance à l’œuvre dans la vie – fussent-elles ravageuses – et qu’aucune humanité pénitente ne pourrait dès lors prétendre à la dignité dont elle se glorifie dans l’hypostase illusoire et servile de l’homéostasie 

Proposant de promptement évacuer un double malentendu qui voudrait moraliser les fluctuations du globe sans admettre la dimension précisément « naturelle » de toute destruction - prédation, parasitisme - et nombriliser ainsi le trop humain érigé au statut de préservateur de la Sainte Vie qui, sans droits, pourrait bien se passer de lui

Estimant inconsistante et fallacieuse la logique du syllogisme qui fonde dans le postulat d’un nouveau droit naturel l’imposition homogène et grégarisante du Bien universel ;

Postulant que tout régime de droit est indissociable des fluctuations de valeurs dont l’homme est le seul véhicule, et que nulle Tutelle Naturelle – et naturellement pourvue de droits – ne saurait lui garantir la sortie du trivial comme de l’abject pour peu qu’il se soumette à elle (et ce bien qu’il n’y parvienne pas de lui-même) ;

Doutant de l’urgence dévote dans laquelle se pressent les prêcheurs d’un arrière-monde essentialisé - aussi fixe que leurs idées - pour un mouvement-statique collectif de moralisation

 

Nous,
habitants de la Terre mais néanmoins chantres des plus sublimes catastrophes,
proclamons la présente Déflagration universelle des Droits de la Terre

 

comme l’affirmation jubilatoire et réalistement imparable d’une pensée post-écologique revenue de tous les subterfuges théologiques, téléologiques, eschatologiques aux fondements des pires inepties écologico-prédicatrices ; comme la reconnaissance infaillible d’une grandiose accélération de la vie dans la dissolution cosmique de la Terre ; et dès lors comme cet appel nécessaire mais non moins enthousiaste : que la fin soit une fête.


Article premier
Que l’on considère la Terre comme un être vivant n’anéantit aucunement – voire même corrobore malgré soi – l’argument selon lequel la vie s’exprime ultimement dans la violence de ses dynamismes, fussent-ils fatals.

Article 2
La diversité constitutive de la Terre passe avant tout par les flux du devenir selon lequel ceux qui la peuplent n’ont de stabilité qu’idéale : qu’ils l’emportent ou qu’elle les emporte de manière indéterminable vers une fin encore indéterminée, tels sont les pronostics qu’il nous faut assumer tant ils suivent – au contraire de l’homéostasie – les mouvements et rapports opérés entre la Terre et l’ensemble des êtres qui la peuplent, ou plutôt l’un dans l’autre.

Article 3
La mauvaise conscience humaine quant à l’instrumentalisation de la vie n’implique pas pour autant sa sanctification ; il y a nuance entre consommation et idolâtrie.
Il est peu probant de miser sur la « dignité » et le « bien-être » - notions éminemment anthropocentristes - en projetant nos lubies justicières sur la vie non-humaine. Gageons dès lors que la dignité se situe ailleurs, puisqu’à ce sens douteux voire religieux du bien-être et du respect de la vie doit être substitué un dessein autrement plus noble : une problématisation active, critique et lucide des présupposés triviaux qu’elle épouse.

Article 4
Que les Hommes aient tenu et tiennent encore à s’octroyer autant de droits que nécessaire – qu’ils soient effectifs ou inopérants -, et que ces derniers finissent par constituer le prisme par lequel les Hommes se rapportent éventuellement à l’altérité ne valide en aucun cas le présupposé selon lequel tout être vivant non-humain – c’est-à-dire situé hors de tout système de droit exclusivement humain – devrait en bénéficier ou s’y soumettre. Dès lors, contre tout biais anthropocentrique, tout désir de respect ou de préservation des autres êtres vivants doit passer par l’établissement de devoirs eux aussi exclusivement humains, mais surtout libres d’être suivis ou foulés au pied. C’est en vertu de cela que chacun peut affirmer sans honte sa propre volonté, et non pas se soumettre au tribunal moral porté par un consensus grossier.

Article 5
Conformément à l’Article 4, il n’y a pas lieu de soumettre la Terre et tous les êtres qui la composent à la titularité d’un régime de droit censé leur être accordé. En revanche, tous les droits inhérents et reconnus dans cette Déflagrations doivent être jalousement arrachés, gardés et revendiqués comme inaliénables par tous ceux qui y aspirent pleinement.
                 
Article 6
De l’inter-limitation de tous les droits ici déflagrés, il résulte que le conflit qui en émergerait se résolve de la manière la plus statique, à l’image du panorama harmonieux projeté par l’humain sur la Terre, et selon laquelle cette dernière, tout comme ce dernier, devrait tendre vers la sa(i)nt(et)é que seul l’équilibre pro-cure.

Article 7
L’imposition desdits droits à l’ensemble vivant qui compose la Terre implique celui de vivre et suppose le maintien et la persévérance des cycles et processus vitaux.
C’est pourquoi la pleine santé et l’élan vital de chaque organisme exigent l’existence de conditions de vie parfois mortelles - extrêmophiles -, la mutuelle phagocytose des individus, et la multiplication des pollutions, de préférence nocturnes.
Il en va de même de la structure génétique de chaque organisme qui, soumise au droit et à l’exigence d’inaltérabilité nous prouve que Darwin avait tort, et que le démiurge créa le code en brins immuables

Article 8
Contre l’injonction ambiante, bien-pensante et obligatoire selon laquelle tous les êtres humains auraient le devoir de respecter la Terre à la manière d’une personne morale, la présente Déflagration répudie toute exaltation irréfléchie et croupissante de la préservation de la nature et de l’harmonie comme unique dessein et destin souhaitable, libérant dans le même mouvement les potentialités de pensée, de vie et de mort.

Article 9
Les êtres humains dont la volonté est d’assurer la hauteur de leurs considérations, de leurs décisions et de leurs actes – fussent-ils aussi dévastateurs que gracieux – doivent ratifier la présente Déflagration, et ainsi reconnaître que le couple de concepts « bien-être humain »-« préservation de la planète » - cache-misère moral, subterfuge conservateur abyssalement creux – est incommensurable aux mouvements vitaux de la Terre virtuellement traversés par autant de fins imaginables, et pourquoi pas glorieuses.

Article 10
Ce faisant, les êtres humains ont le devoir de promouvoir et de prendre part à l’apprentissage, à l’analyse, à l’interprétation et à la transmission de modes de vie soumis à cette Déflagration; d’où découle leur irrémédiable incompatibilité avec un pieu désir d’homéostasie hérité du dernier paradis en vogue

Article 12
Là même où certains individus nostalgiques investiraient les institutions d’un pouvoir de défense des Droits de la Terre aussi inopérant que celui censé défendre les Droits de l’Homme, la présente Déflagration appelle à un pouvoir jurisprudentiel sur base du droit inaliénable, accordé à chacun, de jouir d’une fin en beauté, à la manière qui lui siéra le mieux.

Article 13
Les êtres humains ont la responsabilité de ne jamais laisser empiéter, jusqu’à l’asphyxie, toutes les injonctions d’un tribunal moral au respect, à la protection, à la préservation de la nature, et à la restriction de soi sur leurs plus nobles aspirations, pensées, et actions.

Article 14
Conformément à l’Article 12, les êtres humains ont le devoir de tout mettre en œuvre pour jouir des modes de vie, des modèles économiques et des politiques qui coïncident avec ce qu’ils souhaitent promouvoir de plus noble, et qui respectent les droits reconnus dans la présente Déflagration. Car enfin, postulant la haute pertinence d’une pensée post-écologique, cette Déflagration réaffirme l’idée primordiale suivante : qu’une écologie qui n’est pas en même temps sociale et mentale, est une entreprise de contrôle social et mental.

 


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